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« Je sens encore la présence de Denise ! » — Manon Germain
Le rapt et le meurtre de la jeune Denise Therrien par le fossoyeur Marcel Bernier, au Québec en 1961

par Michel CLOUTIER Éditeur-fondateur, Journal Québec-Presse
SHAWINIGAN-SUD, QUÉBEC — « Je sens encore la présence de Denise en ces lieux. Une grande paix s'y dégage », s'émeut Manon Germain.
L'enseignante enjouée de 32 ans, se confond à tout ce qui entoure de près ou de loin l'affaire Denise Therrien, cette jeune étudiante dont le rapt et l'assassinat avaient bouleversé le Québec et même une partie des États-Unis, en 1961. Le magazine américain « Time » rapportait le drame, devenu national.
Hier, le 23 mai, l'enseignante a confié au Journal Québec-Presse avoir découvert tout à fait par hasard, voilà dix-sept ans, l'endroit précis où fut mis en terre (en 1961) la jeune fille de seize ans, kidnappée et mortellement frappée d'un coup à la tête par son bourreau Marcel Bernier, fossoyeur qu'il était au cimetière Saint-Michel de Shawinigan-Sud, au Québec.
UN VISITE DES « LIEUX SACRÉS »
Visitant les « lieux sacrés » du rang Saint-Matthieu en se taillant une brèche jusqu'au fond camouflé d'un ravin boisé généralement obscur mais qu'un rayon ensoleillé éclaire tout le flanc, en compagnie d'un guide sûr, le trappeur Léo-Paul Bordeleau (en ce mardi 21 mai 2007), l'auteur de ces lignes constate alors la présence d'une modeste stèle commémorative en forme de pierre plate craquelée par le temps, recouvrant la fosse et portant une inscription gravée qui relate bien l'assassinat de Denise Therrien.
Tel un lieu funéraire avec ses filets de la mort, la triste zone n'est pas obscure, ni hantée. Encore inconnus du grand public, les lieux semblent être le théâtre d'un drame humain dont le champ vibratoire marque les heures. Et les années.
« J'ai la sensation que tout rayonne autour des lieux. Je sens Denise, j'ai la paix, je sens vraiment sa présence... et je lui parle », avait répété Manon Germain en entrevue téléphonique, mercredi.
Mais d'où provient la stèle ? Qui en est l'auteur ? La famille Henri Therrien ? Leur fils Robert, aujourd'hui photographe professionnel de Shawinigan, croit que c'est sans doute l'initiative de leur oncle feu Antonio Jean, justement graveur de monuments pour une firme Shawiniganaise à l'époque.
« Je me rappelle, j'avais à peine dix ans, notre famille allait se recueillir en ces lieux, à tous les ans en août, pour souligner l'anniversaire tragique de la mort de ma soeur Denise », relate tristement Robert Therrien. Enterrée morte ou vivante (Dieu seul le sait), l'étudiante fut exhumée et ses funérailles firent l'objet d'un mouvement de foule émouvant, depuis l'église Saint-Sauveur de Shawinigan-Sud jusqu'au au cimetière Saint-Michel de cette paroisse.
LE CHEMIN DU SUPPLICE : UN LIEU DE PÈLERINAGE
À pied ou en vélo, ne tournant jamais en rond dans ses joyeuses balades en forêt, Manon Germain avait une quinzaine d'années (vers 1988) lorsqu'elle fit la découverte de la stèle funéraire de Denise, avec Jimmy, son espiègle frère du même âge ainsi que la jeune Guylaine Bordeleau.
« Ce fut un heureux hasard. Je connaissais l'affaire Therrien, j'en étais restée bouleversée, mon frère également. » À chaque fois qu'elle s'y aventure avec Guylaine Bordeleau notamment, même de nos jours l'endroit se transforme pour eux en un lieu de pèlerinage. Une brise légère souffle. Le ciel s'illumine. C'est le chemin du supplice.
« Je sens ce vent au-dessus de nos têtes, et agréablement. J'y vois un signe spirituel, une présence amicale, douce et intérieure. »
Dans cette brise quasi mystique, loin d'entrevoir l'illusion fragile d'un instant fugitif, Manon tient à le souligner bien sereinement : « Je lui parle à Denise, et je suis comme une partie d'elle, une partie de cette Denise devenue une légende. »
Et ce moment personnel se coiffe d'une valeur précieuse combien souffrante dans la transparence pénible de l'âme martyrisée, appelée à s'unir aux élans intérieurs de la méditation. Et de mille manières : par une courte prière, par quelques ave, ou bien un signe de croix senti, une invocation, etc.
Car toute souffrance offerte à Dieu a un pouvoir de rédemption. C'est dans l'offertoire quotidien de nos jours que tout mal métaphysique (si nous avons mal à l'âme) prend sa guérison. Et l'âme redevient une volonté créatrice. À embellir la vie, loin du déchirement antérieur.
LE TRAPPEUR DRESSE UNE CROIX
Voilà qu'ayant un appétit de loup à traquer le gibier depuis sa jeunesse, le trappeur chevronné Léo-Paul Bordeleau de Lac-à-la-Tortue, entre en scène à son tour. Non qu'il veuille se mêler de l'affaire Denise Therrien par simple curiosité. Non. Entraîné par la force du mystère, ce trappeur pas comme les autres, charismatique aux dons multiples à composer avec les forces du destin, met d'abord un point d'honneur à nous conduire sur les lieux.
Intrigante, l'affaire devient sérieuse. Et tout bon journaliste se doit être en quête de nouvelles frontières et d'horizons inédits.
Grisante impression que cet interminable sentier qui ne mène nulle part ? Certes oui, jusqu'à l'insolite découverte d'une croix au fond d'un ravin. Un sentiment tragique nous envahit. C'est la croix qu'est venu discrètement dresser au pied de la stèle, les jours plus tôt, notre trappeur pour conférer aux lieux une dignité chrétienne. Comme une grâce soudaine. Garnie de petites fleurs peintes par M. Bordeleau, la croix de métal est ornée d'une hostie au centre de laquelle une colombe stylisée prend son envol. C'est l'âme libérée de Denise qui s'échappe vers la beauté immatérielle du Ciel.
Poignants souvenirs. « Je me suis empressé de fabriquer cette croix et de venir la planter en guise de profond respect. C'est ma façon personnelle de rendre témoignage à cette adolescente martyre et à sa famille cruellement éprouvée », de confier le trappeur Bordeleau.
De plus, son geste pathétique vient mettre un baume sur une profonde déchirure de l'âme, celle du suicide de sa soeur Madeleine, à l'époque même de la disparition de la jeune Denise Therrien. « Elles sont mortes pour des raisons similaires », confie M. Bordeleau.
« Ma soeur Madeleine a été violée par deux hommes dans un chalet en 1960. Elle avait dix-huit ans et n'a pu supporter cette souffrance. Serveuse au restaurant Palace de Grand-Mère, elle a fini par se jeter dans les eaux du fleuve Saint-Laurent depuis le traversier du quai de Trois-Rivières. »
Son corps fut repêché cinq jours plus tard. Enterrée par la suite au cimetière de la paroisse Saint-Théophile de Lac-à-la-Tortue, voilà que l'emplacement de la fosse reste introuvable aujourd'hui.
« Madeleine aimait la Sainte-Vierge et son grand maître était Jésus », termine son frère affecté.
CHRONIQUE D'UN DRAME: « ICI REPOSE UNE SAINTE » NDRL : L'affaire Denise Therrien connut un grand retentissement, tant au Québec qu'à l'étranger, jusqu'au Canada et aux États-Unis. Sur cette affaire, Michel Cloutier écrivit un feuilleton de 18 épisodes intitulé « Nos moments d'enfer ». La série parut dans « Le Nouvelliste » en 1977. Ayant obtenu les droits d'auteur, il se retient de livrer ici ce témoignage authentique, livré en exclusivité à l'époque par le père de la victime, M. Henri Therrien.
Signalons qu'en découvrant le corps de Denise sous les indications mêmes du fossoyeur arrêté, un des témoins de la scène, le père Adam, s'est exclamé : « Ici repose une sainte. »
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