«MAURICIE, MON PAYS, MES AMOURS»
Le feuilleton de « Québec-Presse »
par Ida G.-LEBEL
SHAWINIGAN, secteur Grand-Mère
Introduction Je suis capable d’écrire de petits textes, pas un livre entier qui se tiendrait du commencement à la fin. Je ferais des erreurs de nom. Je ne sais encore quoi et je ne veux pas commettre de telles bourdes. Donc je vous écrirai de petits textes, sans suite entre eux pour ne pas me perdre. Je ne suis pas non plus très ordonnée, mon bon ami Michel (Cloutier) est, lui, un vrai journaliste, rompu à la tâche, discipliné devant son clavier.
Nous nous rejoignons sur quelques points, l’amour de la langue française, le grand désir d’un Québec francophone mur à mur, enfin quelques affinités qui nous font se parler avec plaisir. J’ai eu la chance de naître de parents, visionnaires qui voulaient que les enfants aient le plus d’instruction et de savoir possible. Il y a toujours eu des journaux à la maison.
Nous les lisions en gang un ou deux à l’endroit d’autres à l’envers, tout un art de lire des textes tête-bèche. Nous recevions la poste une fois par semaine, les journaux arrivaient de cette façon, beaucoup de nouvelles, le même jour, les parents les nouvelles, les enfants, les bandes dessinées, « Mandrake le magicien, Tarzan, Dagwood, Philomène » Les dessins à faire pour les plus petits. Toute une ouverture sur le monde. Aux repas, les parents et le grand-père discutaient politique, nouvelles mondiales, guerres. Toutes sortes de choses que les enfants ne comprennent qu`à moitié et dont ils se font des idées personnelles pas toujours justes. Amusant, dans les discours des enfants qui rêvaient de descendre en parachutes, la vraie guerre qui les utilisait…dans le vieux pays, mais c’est où les vieux pays? C’est quoi, un vieux pays, un pays est-ce que ça a un âge, un pays c’est toujours là même , avant d’être découvert!
Nous nous félicitions que Jacques Cartier et Christophe Colomb avant lui, et Roberval et tout ce qui était écrit dans le livres soient venus découvrir un pays aussi magnifique ! ’écoute parfois des téléromans qui nous affligent d’erreurs grossières, comme exemple quand il s’agit du voyagement d’un endroit à un autre dans les années d'avant 1960. Des vêtements des gens, de la façon de parler.
Dans une série, le curé de Batiscan était aussi aumônier des Ursulines de Trois Rivières. Et quand il avait à voyager, il demandait au curé de Saint-Tite de venir le remplacer. Faire ces sorties tous les matins et les soirs, puisque dans les pensionnats, on avait aussi les vêpres et complies qui se tenaient l’après-midi , le dimanche pour toutes, religieuses et élèves. La semaine pour les religieuses seulement.
Ces sorties auraient pris tout son temps , un peu plus même. Chaque maison de religieuses et de religieux avait son aumônier. Cette série se passait dans les années 1940. Hors, à cette époque, le curé d’une paroisse comme ces dernières, avait deux ou trois vicaires pour l’aider dans son ministère. Pourquoi demander un voisin et aussi loin en plus ? Il faut savoir que beaucoup de petites paroisses se trouvent entre Saint-Tite et Batiscan. Et pour savoir, il faut des recherches et pour suivre les recherches tout au long d’un gros livre, il faut ce que je n’ai pas…
L’exode-1 Le soleil se levait en haut des Chutes à Murphy quand Joseph-Alexandre sortit de l’étable, il se levait toujours à bonne heure, pour la traite de ses vaches et le train de l’étable. Il avait remarqué depuis un certain temps que ses fils participaient de moins en moins aux travaux de la ferme, surtout, quand il s’agissait des animaux. Pour les foins et le travail du jardin c’était encore passable mais, il vieillissait et ses fils ne donnaient pas d'intérêt à prendre le collier avec lui. Sa femme haute comme un mats de bateau, forte comme tous les hommes de la paroisse, l’aidait dans ses divers travaux, mais ils n’étaient plus très jeunes tous les deux et auraient eu besoin d’un peu d’aide. Les filles demeuraient à la maison, même qu’une des plus vieilles parlait de se marier et de rester avec les vieux, comme on disait dans le temps. Robert, le premier de ses fils avait quitté un jour et on avait plus entendu parler de lui jusqu’à ce qu’une lettre arrive pour demander son baptistaire. François était resté au village il demeurait de l`autre coté de la rivière Des Envies. Il avait une petite terre, assez productive, mais, s’il avait la femme la plus charmante, la plus vaillante, de magnifiques enfants, François s’ennuyait. Il y a des ennuis qui ne se comblent que par le départ, Joseph-Alexandre connaissait ça, tous ses fils partaient. Il ne comprenait pas, lui qui était de la deuxième génération dans le village, maire de la municipalité, gardant fièrement les traditions tant civiles spirituelles que spirituelles c. Il se donnait entièrement à son patelin et ses enfants ne montraient aucun attachement. Cette même journée de printemps, il se rendit donc, comme d’habitude, voir le curé, pour donner des nouvelles de la municipalité, il faisait toujours ça, il visitait le curé pour l’inviter à la réunion du conseil. Ce dernier refusait mais prenait des nouvelles des conseillers et des nouveaux règlements municipaux.
Les affaires civiles et municipales étaient étroitement mêlées, le curé demandait souvent qu’on construise ici un pont, là une route, sans trop se faire voir. Il y avait bien le curé Labelle dans le Nord, qui faisait de la politique active, mais le clergé ne faisait pas trop de vagues, les affaires de Dieu et celles de l’État….. Mais un petit peu, pas trop. 2 Quand les affaires de la municipalité furent bien épluchées, Joseph-Alexandre osa parler de son inquiétude par rapport à ses enfants qui ne pensaient qu’à partir, ici ou là. Pensant bien faire, le curé lui proposa de demander à son François, de venir le rencontrer. Il lui parlerait sagement de la fierté de reprendre le vieux bien. Il lui ferait partir, l’envie de défricher je ne sais où. Pour retourner chez lui, Joseph- Alexandre passa par le rang où habitait son fils, sous prétexte de voir ses petits enfants. Il les invita à venir manger à la maison paternelle, le dimanche suivant, sachant que les filles et sa bonne Marie seraient ravies de voir François avec sa femme et ses enfants. La table était longue comme celles des pensionnats et tellement vide depuis quelque temps. François se demandait bien pourquoi son père, au dîner du dimanche, lui avait tellement suggéré d’aller voir le curé, prétextant que ce dernier l’avait trouvé bien avenant quand il servait la messe, bien bon avec sa femme et surtout courageux, parce que, même si François avait de nombreux enfants déjà à la maison, plusieurs bébés dormaient pour toujours dans le cimetière paroissial. Il se proposa d’aller le voir dans la semaine, il avait travaillé pour un frère du curé, avant son mariage, dans le haut St. Maurice, sur une grande terre toute en bois debout, une terre à défricher. Il avait aimé ce travail, voir surgir le belle terre noire, neuve dessous les souches, il y pensait encore. Il ne finissait pas de dire que le métier le plus valorisant pour un homme c’était celui de défricheur. Il se disait qu’il en profiterait pour prendre des nouvelles. Il parlait souvent de son travail à sa bonne Louisa, sa femme si compréhensive, si encourageante, mais elle ne semblait pas fervente à son désir de partir, laisser sa famille, ses amies, sa belle paroisse, surtout ses petits qu’elle visitait au cimetière, avec une petite gerbe de fleurs des champs. L’Exode-2 Sur la route, en retournant chez-eux, François et Louisa faisaient des suppositions sur ce que le curé pouvait bien avoir à dire, peut-être que celui-ci voulait offrir un petit emploi à François pour combler le manque de revenu sur sa petite terre, qu’il avait besoin de faire quelques réparations aux bâtiments de la Fabrique? Ils arrivèrent à la maison sans aucune réponse, plus de questions qu’au départ de chez les parents. Les suppositions ont toujours des petits en dessous qui nous inquiètent.
Après avoir fait du feu, Louisa n’eût pas le temps de penser au lendemain elle avait les enfants à coucher et à préparer pour l’école. Elle commença par le plus jeune. Et voici un des petits assis sur le bord de la table de la cuisine, là où tout se passe dans une maison de campagne, elle lave les enfants un après l’autre, l’eau du « boiler » ce récipient qui fait partie du poële à bois fournit une eau presque chaude, même si le bois est déjà éteint. Enfin il ne reste que le bébé qui aura sa toilette un peu plus tard après avoir pris son dernier boire avant la nuit.
Le soir, les pensées prennent la place qu’elles avaient, le travail fait, le repos et voila la récapitulation de la journée qui commence. Les couples qui ont de nombreux enfants savent que ce petit espace de temps entre le coucher des petits et le leur est tout ce qui leur ai donné pour être seuls, pour essayer de voir ensemble où s’en va leur vie de couple. Pas dans le lit, les pieds sur le plancher, bien assis, on parle mieux des vraies choses. Enfin François et sa douce Louisa vont se reposer pour le lendemain, comme tous les soirs, François fait un le tour de la maison pour barrer les portes, voir si le bois est prêt pour allumer le feu du déjeuner. La prière du soir chacun de son coté du lit et la paix commence sur la maison des Gauthier.
Les nuits sont très courtes, quand on est obligé de se lever à la barre du jour pour prendre soin des animaux, traire les vaches étriller le cheval, soigner les poules et tout les petits animaux. Anciennement les gens avaient de petites fermes, pas question d’avoir juste des vaches, des chevaux, ou des porcs, tout était mélangé sur la terre, quelques vaches, quelques porcs, des chevaux de traits et des chevaux de voitures légères. Les poules étaient généralement le lot des femmes, mais ces dernières étaient quelquefois tellement occupées pas les enfants que le travail revenait au mari, c’était le cas chez François et Louisa. Surtout qu’elle relevait de la naissance de la dernière fille. François fit tout son travail et rentra à la maison après le départ des plus vieux pour l’école.
Il avait une petite journée à faire, il décida d’aller à pieds au village. Il se fit un repas pour apporter et partit avant le diner. Il aimait bien s’arrêter un peu dans le bois et tranquillement manger son « lunch » ça lui donnait le temps de regarder les alentours, là où il jouait avec ses frères quand ils étaient jeunes.
Il regarda la petite rivière Des Envies tout croche, jaune, elle était belle sa petite rivière quand il jouait avec ses frères, c’était la vraie place pour les baignades de l’été, l'âge change les choses. La rivière Batiscan passait en avant de chez leur père mais ils ne s’y baignaient jamais. Les gens disaient : « La Batiscan, elle est traître, on ne peut pas s’y fier, elle ne nous dit pas où elle cache ses pièges. »
Mais il l’avait vu, la plus belle rivière de sa vie, une rivière si large, si bleue, si calme par endroit, il ne pouvait l’oublier. Cette rivière St. Maurice qui passait en avant de la maison de son employeur à La Grande–Anse. Comme on disait à la fin du XIXe siècle.
Il dépoussiéra ses vêtements avant son entrée au presbytère, il avait traîné un peu dans le bois et s’était assis n’importe où sur le bord du chemin pour se reposer en venant. Comme d’habitude, la servante du curé l’accueillit poliment et le fit attendre dans le bureau. Il eut juste le temps de s’asseoir quand le bon curé arriva. Après les salutations d’usages, les informations sur la santé de Louisa et des enfants, sans passer par quatre chemins, le prêtre donna à François la raison de sa requête, il avait reçu une lettre de sa nièce de Grande-Anse, dont les parents étaient décédés il y avait quelques années, Celle-ci lui demandait de l’aide pour trouver quelqu’un qui aimerait bien prendre cette belle et grande terre de ses parents. Elle et son mari avaient pris soin de ses frères et sœur en même temps qu’ils élevaient leurs propres enfants, ils étaient fatigués et ne sentaient plus la force de continuer.
Le pasteur savait que François avait déjà travaillé chez son frère, c’est pourquoi il faisait appel à lui. Il savait bien que son bon ami Joseph-Alexandre, le maire serait déçu du départ d’un autre de ses enfants, il n’avait pas osé lui en parler. François faillit tomber à la renverse, quand il entendit ça! Son rêve se réalisait, son vœu le plus cher était là sortit tout droit de la bouche de son curé. Il pensait si souvent à la belle et grande rivière, jamais il aurait pensé avoir cette terre si bien placée, si belle, avec de beaux bâtiments presque neufs, des outils de travail et des animaux, tout l’attirail d’une grande ferme, proche de l’église en plus. Une terre en défrichement, lui qui aimait tant voir surgir la belle terre neuve, quand il venait à bout d’essoucher. Louisa et lui étaient relativement jeunes, ils auraient une belle terre, une belle maison, des revenus assurés par les gens qui voyageaient en bateau sur la rivière.
Il retourna en hâte chez lui pour annoncer sa bonne nouvelle à Louisa, parce que ce n’était pas si certain que la nouvelle était bonne pour tous. Louisa pensa à la peine de laisser sa famille, elle aussi avait ses parents proche, des tantes c’est bien commodes quand on a des enfants. Pourtant, elle n’hésita pas à partir avec son mari pour un voyage assez long.
Comment on va d’un endroit à l’autre quand il n’y a pas de route. Combien de temps on prend pour aller en voiture à chevaux, avec des enfants, par monts et par vaux. De temps en temps dessus les montagnes, de temps en temps sur la grève, un peu de chaland derrière le bateau qui fait la navette de Grand-Mère à Grande-Anse. Où bien si c’est l’hiver tout se fait sur la glace, plus facile, mais plus froid, François décida que ce serait la meilleure chose. Il avait vu cette route et les habitants si recevants tout le long de la rivière.
L’hiver pas de tracas, il s’agit de bien vêtir les enfants d’avoir de bonnes robes de carrioles, des briques à faire chauffer pour le fond de la voiture. Il connaissait quelques personnes qui recevaient des gens pour coucher, il savait que ce ne serait pas un voyage de touristes riches mais il savait qu’ils étaient capables de le faire. Le pire c’était d’aller voir son père pour lui annoncer la chose.
Louisa eu la bonne idée de leur rendre la politesse et les inviter le dimanche suivant, les parents n’étaient pas si jeunes mais ils pouvaient venir chez leur fils. Ils eurent la surprise de leur vie, bien que peinés, les parents prirent la chose comme si c’étai une affaire attendue. Ils voyaient bien que leur fils n’aimait pas ce petit terrain qu’il avait.
Louisa irait annoncer la chose à sa famille dans les jours suivants, ils ne partaient pas tout de suite, juste à l’hiver. Il fallait vendre ce petit bien qu’ils avaient, même si la terre qu’ils achetaient était un bon prix, ils n’avaient rien à gaspiller, le voyage prenait au moins deux bonnes voitures et il fallait qu’ils couchent en quelque part avec les enfants, François connaissait les gens de la rivière mais il n’était pas question pour lui de demander la charité. Beaucoup de choses restaient à faire François irait voir la terre, on ne sait jamais, et il fallait qu’il aille voir les bornes avec les propriétaires, il ne les connaissait pas les enfants de Gédéon Carpentier.
L’été passa vite l’automne fut longue et les dernières Fêtes arrivèrent annonçant le départ. La période de Noël, fut un peu difficile, surtout les bénédictions paternelles au Jour de l’An. La mère de François embrassa son fils plus fort que les autres années et lui dit : « Quelque chose me dit que c’est la dernière fois que je te serre dans mes bras au Jour de l’An» En effet, elle ne revit jamais son fils. Pas plus que les parents de Louisa, mais les filles c’était inscrit dans la tradition, qui prend mari prend pays.
Une semaine plus tard, deux voitures partaient du village de St. Stanislas, pour les hauts, comme on disait dans le temps. Et la famille de François Gauthier partit l’installer à La Grande-Anse.
Photo: La rivière Saint-Maurice à Grande-Anse, au Québec, cet État-nation francophonme d'Amérique aux 8 millions d'habitants.
La rivière est belle mais la vie n’est pas facile 1 Certains rituels de vie étaient familiers à nos nouveaux habitants, à la fin du XIXe siècle, c’était la même chose partout.
Enfin, Louisa et François pensaient que c’était ça… mais, on devrait se familiariser à cette grande étendue d’eau, quand la glace serait déprise. Ils n’avaient pas pensé à tous ces changements dans leur vie. On ne se rend pas compte quand on a le gout de l’aventure dans la peau, que notre vie sera changée à tout jamais ou bien on devra reculer et revenir d’où nous sommes partis.
Ils firent connaissance avec leurs voisins et peu à peu, ils se firent une vie acceptable, surtout que l’ouvrage ne manquait pas. Il y avait tant à faire, on manquait de bois de chauffage, les enfants de Carpentier avaient négligé la terre et ils pensaient vendre plus tôt. Le ménage de la maison laissait à désirer et en période de chantiers, les voyageurs ne manquaient pas.
Les «jobbers » fournissaient bien leurs couvertures pour coucher sur les paillasses, ils n’étaient pas toujours propres et il y avait tellement de surveillance pour ne pas se laisser enterrer par le travail, les planchers sales, les crachoirs, les paillasses à refaire, toutes sortes de travaux, auxquels, Louisa n’était pas accoutumée.
Elle trouvait le changement assez difficile, la fille aînée, Angélique faisait bien son possible, mais elle n’avait que quatorze ans. Par-dessus le marché, Louisa pensa qu’elle était de nouveau enceinte. Angélique qui devait aider, non seulement aux tâches domestiques, mais aussi à l’éducation des enfants de façon occasionnelles, trouvait que sa mère semblait toujours fatiguée. Elle avait eu connaissance de certains troubles semblables chez sa mère, elle ne savait rien de la vie intime des parents, n’était au courant de rien au sujet des enfants, n’avait jamais assisté à un accouchement, mais elle savait bien que certains signes ne trompent pas et qu’un enfant arrive de quelque part.
Il n’était pas question de sauvage chez les Gauthier, mais on apportait comme ça les enfants d’un peu partout, dans un sac oublié par un voyageur, un paquet qui arrive par la poste et quoi encore. Généreusement, le Bon Dieu partageait les enfants d’une maison à l’autre, les gens avaient ainsi de grandes familles et la vie était belle. À l’âge d’Angélique, on commençait à trouver le Bon Dieu un peu généreux! Un enfant de plus c’est un cadeau du ciel disaient les parents, mais, Angélique avait vu pleurer sa mère à la perte des petits qui étaient restés derrière eux là-bas à St. Stanislas.
La vie suivait son cours, la seule chose qui consolait Louisa c’était qu’elle n’était pas aussi souvent seule avec les enfants, parce que avec le Bureau de Poste, qui, en passant, s’écrivait encore «Post office» à cette époque, il y avait souvent des personnes du petit bourg, à venir, tôt et parfois tard. Le dimanche, comme ils demeuraient proche de l’église, les gens venaient aussi nombreux et jasaient sur le perron de l’église. Les enfants jouaient gentiment dans leurs beaux vêtements du dimanche. De l’autre coté de la rivière, il y avait des indiens, on disait surtout «des sauvages. » Si François les invitaient ils restaient pour le repas du dimanche midi.
Quelques familles s’étaient métissées avec les Indiens au cours du temps et certains membres de la communauté venaient des clans de Tête de boule du Haut St. Maurice.
La plupart des gens qui avaient de beaux domaines sur les bords de la rivière, venaient de la traite de fourrure, employés de la Compagnie de La Baie d’Hudson. Ils travaillaient un peu plus près des indiens, dans le haut de la rivière St. Maurice ils étaient venus se bâtir plus bas près de le rivière, à certains beaux endroits, remarqués en montant tranquillement en canot.
Ces logements stables leur permettaient de faire venir femme et enfants. La vie s’organisait, on engageait une institutrice, on allait prier à l’église, on se voisinait, on élevait les enfants. Personne n’était proche de l’autre comme dans les villages organisés, la distance était de rigueur, les terres octroyées étaient immenses. La colonisation n’existait pas encore en Mauricie.
.C’est dans ce coin que François avait trouvé la vocation de défricheur pour ouvrir de bonnes terres qui les nourriraient longtemps. Un bon jour un frère de Louisa vint s’installer avec sa femme, à une distance faisable à pieds. Ce fut le vrai bonheur pour Louisa. Sa belle-sœur et elle étaient du même village et elles étaient de vraies amies. Enfin elle aurait une personne sur qui se fier pour prendre soin des enfants quand elle aurait ce bébé qui s’était vraiment annoncé.
La rivière est belle mais la vie n’est pas facile
Comme il se devait, le bébé arriva en janvier 1901, la naissance se passa de bonne façon, le garçon n’était pas gros mais bien vivant. Marianna, la belle-sœur de Louisa vint passer la nuit pour la naissance de l’enfant.
Dans ce temps là, quelqu’un allait à la maison de la sage-femme et demandait une «pelle à feu», pour ne pas alerter les enfants. À d’autres endroits, on disait : « Ma femme va rester malade.»
Deux expressions consacrées, réservées à la naissance. Les enfants, c’était l’affaire des femmes, elles les faisaient avec leur conjoint, mais elles s’occupaient de tout le reste. Même Angélique qui était tout de même assez vieille et mature, partit avec ses frères et sœurs, passer la nuit chez l’oncle Angelbert.
Elle soupçonnait bien qu’il y aurait du nouveau à la maison à leur retour, mais elle n’en dit pas un mot, elle commençait déjà sa vie de femme soumise et secrète.
Heureusement, Marianna était là, Louisa était très fatiguée la tante veillait avec une générosité sans pareille, à ce que les relevailles se fassent strictement. Onze jours au lit, occupée seulement à nourrir le bébé et dormir.
La bouteille de gin avec des rognons de castor dedans, secret des femmes pour prendre des forces, on suppose que les rognons n’étaient qu’un prétexte pour que ça ait l’air d’un tonique. Mais un petit peu de gin dans le lait ça fait du bien au moral et au cœur. Les hommes le savaient bien, surtout qu’eux ne s’enfargeaient pas à le noyer dans le lait.
Angélique était très heureuse que sa tante soit là et que sa mère puisse se reposer. Elle se souvenait de la naissance du dernier bébé, plutôt pénible, sa mère était pâle comme une moribonde et le travail leur appartenait à elle et sa mère, surtout à elle, la pauvre Angélique qui se trouvait parfois bien peinée d’être la plus vieille de la famille avec des frères plus jeunes qui ne faisaient presque rien eux. Après le train de l’étable, ils étaient libres comme le vent.
L’hiver n’était pas trop pénible pour les hommes, le bois de chauffage coupé, fendu et cordé, il n’y avait que la glace à faire. Quelques jours sur la rivière gelée à tailler des carreaux de belle glace bleue pour remplir les glacières.
Pour les femmes c’était autre chose, la nourriture à préparer, les patates, les nombreuses patates à éplucher! Ça ne finissait plus, des quantités industrielles, pour ménager la viande qui se faisait rare en fin de saison hivernale, on mangeait de la fricassée et du lard salé.
Les voyageurs arrivaient et ne regardaient pas sur le repas, ils avaient faim. Même si Angélique se faisait aider de sa petite sœur Imelda, elle trouvait que les journées étaient longues. Les voyageurs mangeaient souvent avant la barre du jour, pour être prêt à se mettre en route aussitôt la clarté arrivée.
Comme la vie et le printemps revient toujours, finalement, Louisa relava de couches assez forte et prit la relève de sa fille aux divers travaux de la maison. Le bébé était en pleine forme, elle le nourrissait avec une attention particulière, elle ne voulait pas le perdre celui-là, encore. Elle ne pouvait arrêter de penser aux petits bébés qu’ils avaient eus si peu longtemps.
Malheureusement, la vie n’est pas toujours ce que nous souhaitons, l’hiver 1905 fut long et pénible, François et Louisa ne purent empêcher la maladie de leur prendre les trois enfants qu’ils avaient eus, depuis leur arrivée à La Grande–Anse.
La vie était rude et l’isolement l’était encore plus, dans des hameaux lointains, tout peut arriver, sans que personne n’en ait connaissance. C’était bien vrai, un voisin a été tué par on n’a jamais su par qui, la même année 1905. François trouvait sa vie extraordinaire, mais on ne saurait dire si Louisa était vraiment heureuse, elle est restée une personne sans grande histoire.
La plus jeune des filles avait maintenant 7 ans et Louisa se trouvait bien vieille pour avoir d’autres enfants, qu’elle perdait de toute façon, elle priait donc pour que le Bon Dieu de la préserve d’une grossesse due à son retour d’âge, et elle fut exaucée.
Les enfants grandissaient et regardaient les voyageurs qui venaient coucher à la maison comme des chanceux, de pouvoir aller ici et là. On racontait beaucoup et toutes les légendes passaient, les soirs où il y avait des pensionnaires. Un tel racontait ce qui sa passait à Trois Rivières. Un autre était allé jusqu’à Montréal, et en mettait beaucoup ne risquant rien, Montréal c’était loin. Quand ça ne risquait pas de les déranger, les enfants écoutaient ces récits qu’ils trouvaient extraordinaires.
Angélique avait maintenant 17 ans et elle commençait à trouver les garçons plus beaux qu’avant, elle ne comprenait pas tout à fait ce qui se passait, mais, un voisin qu’elle avait trouvé un peu ordinaire, devint tout d’un coup, presque un Prince sortit de la peau d’un crapaud, comme dans les contes. Elle se maria au printemps de l’année 1915.
Les enfants partaient à leur tour. Comme le grand père Joseph-Alexandre, François et Louisa voyaient grandir leurs enfants et savaient qu’ils ne resteraient pas dans ce bourg, rude, éloigné de tout, sans route carrossable, même en été, tributaire le l’eau, Des enfants d’origine nomade, des enfants qui ne collaient pas au sol, tout comme les frères de François et lui-même, ils ne rêvaient qu’à voir d’autres endroits pensant que la vie serait plus intéressante ailleurs.
François savait que ses enfants ne reviendraient pas et que comme son père, il ne saurait à qui léguer cette terre où il avait tant travaillé. En sarclant son jardin, il pensait à tout le chemin parcouru. Il se souvint de la visite de Joseph-Alexandre, une année, à la période du Jour de l’an. Il regardait venir une voiture sur la glace de la rivière, et à sa grande surprise, il reconnut de loin le cheval de son père. Prétextant venir lui donner la Bénédiction paternelle, ce dernier avait parlé des difficultés sur la terre, du décès de la sœur de François qui demeurait ave eux, de l’âge qui commençait à les ralentir sa femme et lui...
François se remémorait la visite de son père et dû s’avouer, qu’ il n’avait jamais pensé que son père tentait de le faire revenir. Maintenant, il voyait. A la relecture de sa vie, les choses ne sont plus pareilles, il ne regrettait pas, pourtant, d’être resté, il voulait juste qu’un de ses enfants prenne sa place sur le bord de la magnifique rivière de son cœur.
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