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Lettre à ma chère Lucie de Toronto
IDA G. LEBEL
Choniqueuse Journal Québec Presse SHAWINIGAN, QUÉBEC —
Grand-Mère, Québec, le 22 octobre 2012 Lettre à ma chère Lucie De 1980 à 1990, j'ai été bénévole au Foyer de Grand-Mère, une résidence pour personnes âgées, qui avait ouvert ses portes, une vingtaine d'années plus tôt. PHOTO: Foyer de Grand-Mère, en rénovations. Les gens abdiquaient plus jeunes parce que certaines femmes étaient allées loger là pas plus vieilles que 60 ans, pour la plupart, elles avaient donc 80 ou 90 ans ou un peu plus. Je faisait l'animation des messes du dimanche avec un couple de très bons amis musiciens, qui avaient voué leur vie à accompagner et désennuyer les autres parce qu'ils disaient que s'il n'avaient pas eu d'enfant, c'était pour une raison , donc, parfois les jours de fêtes comme celle des mères, ou des pères, quand les bénévoles n'avait pas trouvé quelqu'un pour aller faire une petite fête, nous allions leur faire des petits rigodons. Comme j'étudiais à l' UQTR en théologie (Ma mère m'a dit qu'il avait que ça à quoi je n'avais pas encore pensé) je devais me choisir un endroit où faire un petit travail durant mon cours. Donc, j'avais un bon milieu, je commençai donc à faire un petit retour de pastorale avec mes personnes âgées, parce que je trouvais qu'elles se jugeaient beaucoup, comme par exemple, si une ne venait pas à la messe, ou si on ne venait pas réciter le chapelet. PHOTO: Toronto, Ontario, métropole du Canada anglais cosmopolite. Et surtout, je voulais leur rendre la fin plus facile, elles étaient plus proche de la mort que de la jeunesse. Je ne savais pas trop par où commencer, je décidai donc d'aller voir si le petit catéchisme des évêques du Québec, le vieux celui que nous apprenions et qui était assez vieux pour que je ne l'aie pas enseigné à mes petits à Mattawin. Toujours que de plus en plus à part l'explication que les professeurs nous en faisaient, je trouvais qu'il avait assez de bon sens, mais que c'était trop serré sur la Miséricorde divine. Les personnes qui étaient devant moi me parlaient toujours de la sainte Miséricorde de Dieu mais encore plus des châtiments qui les attendaient dans l'autre monde. Je pris donc le moyen de les faire parler de leurs craintes, mais les péchés, on ne révèle pas ça en public, et pour les accommoder je leur fis l'offre de les rencontrer individuellement dans leur appartement. Un jour une bonne personne, une très bonne vieille de 90 ou 95 ans, me demanda dans sa chambre pour me confier une inquiétude, qu'elle avouait au confessionnal et qu'elle gardait depuis sa jeunesse. Elle avait environ 20 ans, quand elle eu son premier enfant, son mari était parti dans les chantiers, en haut du St. Maurice ou de la Mattawin. Elle pensait que celui-ci serait revenu pour la naissance du bébé, mais ça ne se passa pas comme ça. Il avait décidé de continuer tout de suite pour une ou deux semaines de "drave" , ce qui retarda son retour. Les hommes ne s'inquiétaient pas trop, le bébé, c'était une affaire de femmes. Toujours que le bébé arrive, et ma madame décide que ce ne serait pas pour quelques jours, que le bébé en santé, un bon gros bébé, comme elle me disait, souffrirait de ne pas être baptisé, qu'elle attendrait que son mari soit arrivé. Sans la drave, il aurait été là mais.......elle attendit donc, avec la peur des limbes dans la gorge, surtout que sa belle-mère ne manquait pas de lui dire de faire baptiser. Mais elle voulait que son bébé ait la signature de son père au bas de son baptistaire, ce qui est bien légitime. Mais un matin elle voulu prendre le petit et il était mort dans la nuit sans faire de bruit. Elle ne se sentait pas responsable du décès de son fils, ne pensait pas non plus que c'était une punition du ciel, au début du dernier siècle, les bébés mouraient comme des mouches. Elle ne pensait qu'à l'envoi de ce dernier direct dans les limbes. Elle eut d'autres enfants, je connaissais d'ailleurs une de ses filles. Elle me dit qu'elle avait souvent confessé ce manque de vigilance, sans avoir la certitude que son fils était au ciel avec tous les autres, elle avait porté dans ses pensées, cette peur d'avoir envoyé un enfant dans une je ne sais quoi , les limbes, je ne sais pas d'où le mot vient , mais c'est une sorte de non-place, un "no man's land" un endroit privé de la vue de Dieu. Je ne savais pas quels mots employer pour la convaincre, mais selon moi chaque personne qui arrive sur la terre, s'en va directement, après sa mort, retrouver son Créateur. Autrement il n'y a pas de Miséricorde divine. Une autre, qui avait cousu durant toute sa vie, pour se réchapper, mariée à 18 ans avec un buveur invétéré, elle cousait avec une machine à pédale, ce qui lui occasionna plusieurs fausses-couches, elle finit par réchapper un garçon. Elle cachait une partie de l'argent qu'elle gagnait, pour offrir de petites gâterie, à son fils, me demanda si dans l'autre monde, le Bon Dieu lui tiendrait rigueur de ne pas avoir aussi gâté son mari et lui avoir caché le fait qu'elle avait des sous. A cette dernière, je dis que si tel était le cas et que le Seigneur lui tienne rigueur à son arrivée, elle ne devrait pas l'appeler Bon Dieu mais juste Dieu, puisque il ne comprenait rien de la nature humaine.
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