"Le moulin à paroles"

célèbre le Québec,

l'État-nation

francophone d'Amérique

Photo: l'émouvant chef Dominique Rankin, récitant un texte de la nation algonquine

"Nous sommes frères et soeurs"
— Dominique Rankin





Michel CLOUTIER
Éditeur
Journal Québec Presse
QUÉBEC —

Marquant le 250e anniversaire de la bataille des plaines d'Abraham, cette fin-de-semaine (12-13 septembre 2009), "Le Moulin à paroles" a fait converger sur ce champ de bataille, pas moins de 140 textes artistiques et documentaires historiques, lus pendant 24 heures par des personnalités de tous les horizons de la société québécoise.

Photos par Michel Cloutier

LUMIÈRES ET TÉNÈBRES

Entourant la scène du pavillon Edwin-Bélanger, une imposante foule de plusieurs miliers de personnes assistait pacifiquement, d'heure en heure et sans heurt aucun, à ce grand événement dont l'exercice glorifiait les héros de l'histoire nationale dans le croisement des drames malheureux comme les atrocités anglaises durant le siège de Québec en 1759, en passant par le terrible assassinat du ministre Pierre Laporte en 1970, sous la terreur du Front de libération du Québec dont le Manifeste fut lu avec emphase par le comédien Luck Mervil, peu après minuit, dimanche.

Photo: le comédien Luck Mervil, lisant le Manifeste du FLQ, terminant avec fougue sous le cri de "Vive le Québec libre!"

(Photo de Jacques Nadeau, Le Devoir, quotidien intellectuel de Montréal, Québec).
 
QUÉBEC CONDAMNE

L'ÉVÉNEMENT

Plongé dans la controverse dès l'annonce, les jours plus tôt par les organisateurs, de la lecture de l'explosif Manifeste du FLQ, Sam Hamad,(syrien d'origine), ministre responsable de la région de la capitale-nationale, s'est empressé d'accuser les organisateurs de l'événement, de faire l'apologie de la haine et du terrorisme prôné par le groupe.

Le tollé a gagné non seulement la classe politique de toute allégeance, mais l'ensemble des intervenants des couches sociales (favorables, sauf de rares exceptions, à la tenue du Moulin à paroles), et bien entendu, la députation libérale fédéraliste du Gouvernement  Jean Charest, vivement opposée à cette démonstration de taille : tous ont décidé de condamner l'événement, le qualifiant, de "souverainiste" par surcroît. Et de ne pas y participer. Ce qu'ils ont fait.

LE CULTE DE L'ABSENCE

Sous tension, Québec s'est dissocié durement du "Moulin à paroles", malgré l'invitation formelle qu'il avait reçu des organisateurs jugés "partisans" d'une cause: l'indépendance du Québec. 

Photo: Notamment, Pauline Marois au micro, chef du PQ, le génial Raoul Duguay, poète marquant du XXe siècle et Sébastien Ricard, un des organisateurs. 
(Photo de Jacques Nadeau, Le Devoir, quotidien intellectuel de Montréal, Québec).

Dans une attente anxieuse, le maire de Québec, Régis Labeaume, hésite, puis, devenu excessif dans ses propos, se hasarde aux côtés des libéraux de Charest. 

Comme dévasté devant la perspective d'une lecture du FLQ, le maire reste donc chez lui, résolu à prolonger l'écho de ses amis fédéralistes qui pratiquent le culte de l'absence.   

"Censure! Hypocrésie! Une insulte à la nation! Charest et Hamad devront s'excuser!" s'indigne Pauline Marois, chef de l'Opposition du Parti québécois (souverainiste).

Photo: Boudeur, le maire Régis Labeaume de Québec, reste chez lui. (Photo, image Internet)

En revanche, dimanche, à deux pas de cette foule, si près et pourtant si loin du peuple, le premier ministre Charest inaugurait sous la trompette militaire canadienne en compagnie d'une poignée d'invités "fédéralistes", une stelle commémorant les victimes françaises, canadiennes, britanniques et autochtones de la brève bataille des Plaines que n'a duré qu'une quinzaine de minutes.

D'un coeur vide, la cérémonie parue froide, sans attrait et sans âme, absente de toute émotion comme si la contrainte du devoir était un rendez-vous manqué. Signe de faiblesse pour un homme d'État ? 

Photo: Sur la scène du Moulin à paroles, dans un français fort bien articulé, le fédéraliste Benoît Bouchard, ancien ministre consevateur, dans un extrait du discours de Jean Lesage du 14 novembre 1962 sous la "Révolution tranquille".

Perspicace, Bouchard en a profité pour déclarer à la foule: "On m'a souvent demandé cette semaine pour quelle raison je serais ici ce soir. Vous êtes la réponse."
(Photo Le Devoir)

Charest ne sait-il pas que la nature de l'Histoire est dans le mouvement... une émotion affairée avec sa grâce élective, ses angoisses et ses tremblements ? Sans être pour autant harcelé par le tumulte du passé... et en perdre bêtement sa tranquillité puisque le "devoir de mémoire" pointe cet horizon. 

DES FRANÇAIS RENVERSÉS !

L'affaire soulève les passions... jusqu'à Paris où des touristes français venus exprès pour participer à ces 24 heures du Moulin à paroles, n'en reviennent pas.

Photo: Jeanne Clément, lisant un texte de Jacques Cartier, 1534.
(Photo prise par Michel Cloutier)

 "Nos écoliers connaissent par coeur La Marseillaise qui est un chant guerrier des plus révolutionnaires et des plus sanguinaires. Est-ce faire l'apologie de la haine et du terrorisme que de chanter La Marseillaise ?", s'étonnent-ils.

De l'avis de Didier Le Cours, (rue de Passy à Paris) les Québécois doivent tous s'affranchir, et d'une même voix, en célébrant leur mémoire commune. C'est dans l'ordre normal des choses.

L'agitation manifestement inquiète du Gouvernement du Québec est un signe de faiblesse et de lâcheté, à ses yeux. "Un manque flagrant du sens de l'Histoire des peuples. Imaginez, insiste-t-il, si le Ô Canada était chargé de mots sanguinaires, auriez-vous peur de le chanter?"

Photo: James Hellman, dans un texte de Jack (Jean-Louis) Kirouac, 1953, "La mort de mon frère Gérard". Kirouac, nés de parents québécois installés aux États-Unis à Lowell, Mass., est l'inventeur du mot "Beatnik".

Père de la génération Beatnik américaine des années 50, il marque le courant littéraire américain avec son roman "Sur la route" (On the road). Devenu l'un des grands écrivains du XXe siècle, Kirouac écrivit son premier roman en français. (Photo prise par Michel Cloutier)

"Le président de la République chante La Marseillaise avec autant d'émotion que le font ses adversaires politiques, sans pour autant faire l'apologie de la haine", répète le parisien, ingénieur de carrière, désireux de s'établir un jour à Québec avec sa petite famille.  

"Réciter le manifeste du FLQ vient mettre en relief une page sombre de votre histoire, comme celle de la Révolution française", termine-t-il.

DE BELLES VOIX

À LA DICTION PARFAITE

Un signal significatif : Parmi les personnalités défilant sur scène, de jeunes comédiens (et commédiennes) à la diction parfaite et aux voix harmonieuses.

Photo: François Parenteau, lisant un extrait du "Refus global", "La censure" d'Émile Borduas, 1948. (Photo par Michel Cloutier)

Illustres inconnus pour la plupart du petit écran et du grand écran, ces jeunes comédiens escaladent les échelons de la réussite. Leur présence intuitive, charismatique, vraie bénédiction, devrait leur ouvrir les portes de la télé nationale et du cinéma québécois qui souffrent de médiocrité et de pauvreté linguistique. Nos ondes sont "contaminées" par le jargon québécois, la langue jouale, superficielle, chargée d'anglicismes et parlée à profusion d'une émission à l'autre et d'un film à l'autre.

On sait que tout petit peuple sur cette terre est condamné à l'excellence, s'il veut survivre. Voilà le destin du Québec, condamné à se surpasser, expressément dans le régime activé des forces créatrices.  

C'est dire que le misérable jargon québécois est une chasse gardée de nos antennes. "Quel malheur!", s'insurgerait le Frère Untel (1960), auteur des fameuses Insolences aux cent mille exemplaires, immense succès de librairie à l'époque. Tout le monde le sait: le film québécois ne s'exporte pas en France à cause de son jargon. Et Québec comme Ottawa s'entêtent à subventionner ce cinéma de langue régionale.

Photo: Paul Ahmarani, dans un texte dramatique de "Nègres blancs d'Amérique" de Pierre Vallières, 1968. (Photo par Michel Cloutier)

Place à la génération montante, à tous ces jeunes et talentueux comédiens, dramaturges, acteurs et professionnels des arts et des lettres.

Ils ne sont pas qu'une belle parure dans ce Moulin à  paroles, ils sont l'avenir en puissance de la nation québécoise et de sa créativité.

Parmi les invités, Andrew Wolfe Burroughs, le descendant du général James Wolfe (1727-1759) et Georges savarin de Marestan, descendant du général Louis-Joseph de Montcalm (1712-1759), ont fraternisé à travers de longs silences et une fidélité fervente envers l'histoire.

L'absence du premier ministre Jean Charest et de son Gouvernement parurent les gêner, ne comprenant guère une telle attitude. Par contre, Andrew Wolfe a déploré l'annulation de la reconstitution symbolique de la bataille des plaines. La victoire anglaise reste à ses yeux une occcasion de célébrer ce haut fait tout en fraternisant avec les vaincus.   

"UNE PRODIGIEUSE

LEÇON D'HISTOIRE"

De son côté, l'ancien premier ministre péquiste Bernard Landry reçut une ovation de l'assistance en lisant la dernière lettre de Chevalier De Lorimier avant son exécution par les Anglais de Montréal. Landry allait revenir sur scène le lendemain, au chant du coq vers 5h30, dimanche pour une seconde lecture du document daté du 14 février 1839, les heures avant l'exécution du patriote à la prison du "Pied du Courant", à Montréal.

Photo: Bernard Landry dans une lecture écrite du condamné à l'échafaud, ce 14 février 1839. (Photo par Michel Cloutier)

"C'est une prodigieuse leçon d'histoire. Ça fait une effervescence intellectuelle et affective qui est bonne pour tout le monde, qu'on soit d'une idée ou d'une autre", dit-il, lorsqu'interrogé par la Presse canadienne.

L'écrivain Jean Barbe créa un autre moment fort dans une lecture de la désespérante lettre de Pierre Laporte à Robert Bourassa pendant sa détention par des membres du FLQ qui allaient exécuter le ministre du Travail, mort par strangulation.

PHoto: l'écrivain Jean Barbe

Sous l'effet dramatique des mots, l'assistance devint silencieuse, un silence palpable, drapeaux en berne, comme si cette tragédie, dans son inclinaison fatale habitait la mémoire du peuple. Non pour jouer la comédie de la sainteté dans un moment théâtral, mais la missive du ministre, une missive mendiante, tremblante et suppliante vient en quelque sorte réveiller les dormeurs et les inconscients de l'Histoire. 

Foudroyé par le FLQ, Pierre Laporte aurait sans doute aimé que sa lettre soit relue par cet autre premier ministre, Jean Charest dont l'ennui navrant n'inspire guère cette "besogne", ce "devoir de mémoire" en se donnant de bonnes habitudes héréditaires pour la suite du pays.  

UN PARCOURS DE L'HISTOIRE

Dans cet émouvant parcours de l'histoire, allant de la découverte de la Nouvelle-France, jusqu'à l'émergeance de l'État-nation québécois d'aujourd'hui (encore "province juridique canadienne" à devoir supporter le multiculturalisme canadien qui dessèche l'identité québécoise jusqu'à la sclérose menaçante de l'unité canadienne assimilante en laminant les minorités d'un océan à l'autre) le grand public a renoué avec le grand discours salutaire de Papineau, livré à l'aube de la Rébellion des Patriotes de 1837.

Suivirent deux poèmes de Nelligan, La Romance du vin et Le Bateau ivre, le Manifeste du Refus global, Les Belles Soeurs de Tremblay, L'affranchisseur hurle de Paul Chamberland de la revue Parti-Pris (1963), de L'Homme rapaillé de Gaston Miron, oeuvre capitale dans la littérature québécoise et française tout court, etc. 

CHRISTOPHER HALL

S'aventurant à lire en anglais, sa langue maternelle, un texte du sombre écrivain montréalais Mordecai Richler dont "l'oeuvre" littéraire engendre parfois le mépris envers le Québec, voilà que le musicien Christopher Hall s'est mis à récolter les applaudissements de l'assistance.

Anglophone montréalais, Hall ainsi présent à ce grand carrefour de l'Histoire nationale, ne pouvait pas s'imaginer décrocher un tel accueil d'une foule qui a paru avoir l'esprit absent devant un auteur (Richler) aux sens émoussés, grossier, la langue tapissées d'injures envers les Québécois.    

Christopher Hall, pourtant fort sympathique qu'il est dans ses interventions publiques, auraient pu tourner le dos à ce minable Richler et s'entraîner dans le dresssage génial des mots à la Réjean Ducharme (L'avalée des avalées), par exemple. Mais liberté oblige et Hall poursuit son aventure de chroniqueur au Journal de Montréal. 
 


   

TEXTE À SUIVRE