REVUE DE PRESSE

"Le Chiffre de la vie",
par Grégory Bénichou, Seuil, 2002.
Benichou est docteur en philosophie et
docteur en pharmacie, diplômé de
l’ESSEC, il y enseigne au sein de la chaire
Santé, à Paris.
Cet essai constitue un pari et une réponse à
un défi. Le problème posé est
clair : pour expliquer la nature de l'ADN, on
se réfère communément à
l'idée d'une langue biochimique. S'agit-il
d'une simple image oui d'une
réalité plus profonde ?... A l'encontre des
discours dominants, Grégory
Bénichou explique pourquoi, là où le
microscope n'observe qu'une
mécanique aveugle, se cache le Chiffre de la vie, c'est à dire un texte
sublime où les symboles chimique se trouvent lestés de forme et de sens.
On découvre ainsi dans l'ADN la trace d'un langage universel antérieur à
toute conscience humaine, un langage matriciel auquel certains
kabbalistes attribuaient le pouvoir de créer la vie....
ADN : un langage programmé
Depuis le séquençage du génome humain, les sciences biologiques
découvrent que pour comprendre le vivant, il ne s’agit plus de
décomposer les structures de l’ADN en ses éléments les plus intimes, mais au contraire de saisir la part immatérielle de son chiffre pour le
déchiffrer... Le programme génétique doit désormais s’interpréter comme
un code capable de convertir une chimie en syntaxe. La métaphore du «
Livre de la vie » n’a donc jamais suscité autant de questions : d’où
provient le code ? Existe-t-il un Programmateur ? L’information est-elle
finalisée ? La biologie qui la première a utilisé ces termes voudrait
aujourd’hui les reléguer dans le champ de la métaphore et ne pas leur
attribuer un sens symbolique. Surtout pas de programme, ni de
programmateur, ni de sens, mais le hasard. La question est
d’importance : s'agit-il d'une métaphore ou d'une réalité plus profonde ?
G.Bénichou montre que les notions de programme, de code, de message
héréditaire désignent une réalité objective : celle d’un langage inscrit dans
la matière vivante renfermant une signification. Cette notion d'information
génétique offre une nouvelle relation entre la matière et le sens, entre le
corps et l'esprit, scellant la réconciliation du matérialisme et du
spiritualisme.
De la liberté
Se pose alors la question de la liberté : si la vie nous programme, où
loger notre liberté ? Et à l’inverse : la technique nous autorise-t-elle à
programmer la vie ? Dès 1892 Charles Richet, prix Nobel de Médecine
propose sa vision du futur. Vers l’an 2000 écrit-il : « quand on connaîtra
bien les lois de l’hérédité et leurs applications pratiques (...) on ne se
contentera pas de perfectionner les lapins et les pigeons, on essayera de
perfectionner les hommes. Il faudra alors préparer les bases d’une sorte
de sélection artificielle, par l’effet de laquelle les hommes deviendront
plus forts, plus beaux, plus intelligents »1. La thèse du sélectionnisme
scientifique remonte à Darwin et s’est développée dans son entourage,
Darwin écrivant lui-même « combien cette perpétuation des êtres débiles
doit être nuisible à la race humaine ». Et dès 1896, Vacher de Lapouge,
afin d’étendre concrètement l’ordre sélectif dans l’ordre social prévoit le
développement de « la maîtrise de la fécondation artificielle » en séparant
amour, volupté, et fécondité...
Le tamisage des humains
Aujourd’hui la maîtrise, pourtant encore balbutiante de la génétique,
confronte l’éthique avec elle-même. Elle se déchire entre le respect de
l’humanisme et la tentation de l’eugénisme. C’est la logique de F. Crick,
codécouvreur de l’ADN, prix Nobel de médecine en 1962 : « aucun enfant
nouveau-né ne devrait être reconnu humain avant d’avoir passé un
certain nombre de tests portant sur sa dotation génétique. S’il ne réussit
pas ces tests, il perd son droit à la vie ». Diagnostic prénatal, puis
diagnostic pré-implantatoire : des pratiques qui entraînent la médecine
vers le tamisage des humains...
Le Quotient génétique
En introduisant le nouveau concept de Quotient génétique, le dernier
chapitre examine l’avènement d’un eugénisme médicalement assisté.
Comme pour le Quotient intellectuel, des tests pourraient bientôt mesurer
les performances et les qualités du génome. L’auteur montre que les
progrès réalisés par la biologie matérialiste ont ainsi contribué à
matérialiser l’homme lui-même, à le réduire à son génome. Il ne s’agirait
plus d’un eugénisme d’Etat, tyrannique et violent, mais d’un eugénisme
privé, légal et librement consenti, s’inscrivant dans la sphère du projet
parental. Et pour se masquer la vérité, la médecine se laisse tenter par la
duplicité d’un discours tronqué par le nettoyage des mots. Ces «
sautillements linguistiques -apparemment innocents- se situent à des
endroits stratégiques du discours». Ainsi l’embryon humain est devenu «
personne humaine potentielle » puis « pré-embryon », « amas de cellules
dépourvu de sens », « presque rien »2 et plus récemment « artéfact de
laboratoire »3. Comme on préfère parler de diagnostic plutôt que de
dépistage, de prévention plutôt que d’élimination, en particulier des
trisomiques...
Pourtant, nous rappelle l’auteur « toute attitude adoptée envers
l’embryon humain est porteuse de légitimations d’attitudes analogues
envers la personne humaine ». « Le respect de l’humanité est un et
indivisible. »
Vers une science éthique
Enfin, l’auteur refuse de présenter le débat de façon dichotomique,
comme s'il fallait choisir entre deux options exclusives : ou bien le progrès
de la science, ou bien le respect de l'homme. Il présente les véritables
espoirs thérapeutiques de la médecine du XXIè siècle pour soigner
l'homme sans l'avilir. Ces perspectives thérapeutiques sont nombreuses, il
nous appartient de les développer sans renier notre humanité...
1 - Charles Richet, Dans cent ans, La Revue scientifique, mars 1892
2 - René Frydman, Dieu, la médecine et l’embryon, Paris, Odile Jacob,
1997
3- Henri Atlan, La Science est-elle inhumaine ? Paris, Bayard 2002
Ref : Le Chiffre de la vie, Grégory Bénichou, Seuil, 2002. G.
Benichou est docteur en philosophie et docteur en pharmacie, diplômé de
l’ESSEC, il y enseigne au sein de la chaire Santé.
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