LES OUBLIÉS DE L'HISTOIRE Des Lepage aux Deschamps, ils ouvrent la voie de l'Ouest
par Michel CLOUTIER Journaliste d'enquête Journal Québec Presse BELLE FOURCHE, DAKOTA DU SUD —
Lisez le Dossier de presse du député Robert Deschamps : Robert Deschamps député adéquiste
Ce sont les oubliés de l'histoire de l'Amérique française... et de l'Amérique tout court dans la conquête de l'Ouest : ils s'appellent Langlois, Aubry, Deschamps, en passant par Charbonneau, Dorion, Rivet, Roy, etc.
PHOTO: Le plus grand cavalier du Far-West est François-Xavier Aubry, (1824-1854). Originaire de Saint-Justin, comté de Maskinongé au Québec, cet héros tout en muscles de l'Amérique ne mesurait que cinq pieds deux pouces. Négociant, cavalier, messager, reporter, découvreur et explorateur du Sud-Ouest des États-Unis, ses exploits sont légendaires. Nous y reviendrons.
La plupart des historiens américains, français et mêmes québécois les boudent. Et pourtant, les voilà pénétrant l'Ouest sauvage en fondant les premiers établissements devenus de grandes villes. Ils découvrent les rivières, les grands plateaux, les lacs et les montagnes en leur donnant des noms français que la toponymie américaine retiendra en partie.

PHOTO : Le célèbre François-Xavier Aubry.
LE PANTHÉON QUÉBÉCOIS
Québécois d'origine (sauf exception), ces hommes d'une trempe peu commune, sont les héros du "Panthéon québécois ". Imaginons l'audacieuse et périlleuse expédition de John Jacob Astor en Oregon en 1810-1812, dont plus de la moitié des membres de l'expédition sont des Québécois d'origine, c'est-à-dire des Canadiens français que les Américains appellent les "Frenchmen".
Quelque 5000 localités américaines portent des noms français, en plus des 42 autres villes de ce pays qui ont pour nom Lafayette, en hommage au héros Lafayette, général français de la guerre d'Indépendance.
La géographie américaine se trouve truffée de ces noms de souche française qui sont parfois transformés et anglicisés. Parmis ceux dérivant de l'histoire naturelle, on note Caribou dans le Colorado, L'anguille dans l'Arkansas, Papillon au Nebraska, Pomme de Terre dans le Minnesota.
PHOTO: Le drapeau de la Ville de Saint-Louis, Missouri. La fleur de lys rappelle la présence française et québécoise de ses fondateurs.
PHOTO: La ville de Saint-Louis, Missouri, fondée par Auguste Chouteau et La Clède en 1764, en territoire Louisianais. La ville sera fortifiée en 1780. 
En bas, portrait d'Auguste Chouteau.
Chez les tribus indiennes, les noms français sont éloquents: voici les Huron, les Gros-Ventres, les Nez-Percés (en Idaho) en passant par les Sioux, Cheyennes, les Pieds-Noirs, les Comanches. Plusieurs noms sont des dérivés d'expressions coutumières comme Bonnet Carré en Louisiane, Ça ira (Cumberland) et Culdesac (Cul-de-sac) en Idaho tout comme Portage D'Orignial et Marais des Cygnes au Minnesota. Sans oublier Portage des Sioux près de Saint-Louis, Missouri.
D'autres noms résultent de la transformation de mots français. Ainsi, Cassatot est une rivière de l'Arkansas dont le nom initial est Casse-Tête. Loose au Montana est une modification de l'Ours. Et pour le nom d'un village, Ozark en Arkansas, vient de "aux arcs".
Au passage des découvreurs, des mots géographiques français décrivent les lieux tels que prairie, bayou, coulée, butte, cache (cache la poche), levée, portage, marais, Plateau du Missouri.
LES VOYAGEURS, NOS ANCÊTRES QUÉBÉCOIS
En 1931, l'Américaine Grace Lee Nute de St. Paul Minnesota, publie une étude très précise dans laquelle est tracé le portrait type des voyageurs d'origine québécoise qui ont reconnu, occupé, exploité et qui se sont souvent établis dans les régions inconnues dde l'Ouest lointain.
PHOTO: Le Fort de Détroit, en 1760 avec ses toîts pointus à la française. Érigé par Lamothe-Cadillac en 1701. La marque de voiture Cadillac rappelle le nom du fondateur.
Véritables pionniers anonymes du nouveau continent, ces voyageurs sont au service des marchands de fourrure, la plupart du temps. Engagés dans une telle aventure, doivent-ils alors posséder des qualités particulières : la goût du risque, le courage en affrontant les rapides déchaînés des rivières; l'endurance puisqu'il leur faut marcher des kilomètres sans fin et porter les canots dans les pistes de portages.
Des Indiens, nos voyageurs apprennent à marcher, à pagayer et à respirer. Débrouillards, imaginatifs, ils s'introduisent dans les tribus, apprennent le dialecte, s'entendent avec les chefs, marient souvent une belle indienne. Étant de la famille, ils obtiennent sans peine les plus belles peaux au meilleur troc. La race des métis naîtra. 
PHOTO : Sur les eaux du Mississipi (Fleuve Colbert).
Vêtus d'une chemise de toile grossière, portant un pantalon en étoffe du pays et une ceinture fléchée; chaussés de mocassins et munis de jambières de peau de daim, ces voyageurs sont de bons compagnons de route. Gais, dévoués, ils rient à gorge déployée et aiment tant chanter: "Par derrieh' chez ma tante, il y a un boius joli..."
Carrefour de la traite des fourrures en Amérique, la ville de Grand Portage au Minnessota, est une passage obligatoire pour les "portageux" arrivant de Montréal pour pénétrer les immenses forêts du Nord-Est. Avec ses 4 800 kilomètres de forêts, de lacs et de rivières, cette route compte pas moins de 120 portages dont certains portent des noms très originaux : Portage La Loche, Portage des Allumettes, Portage du Talon, etc.
PHOTO: L'indienne Sacagawea porte son enfant, Jean-Baptiste Chardonneau. Cette pièce de monnaie américaine, le golden dollar, rappelle son mari Toussaint Charbonneau, un des québécois d'origine qui participait à l'expédition scientifique Lewis et Clark de 1804 vers l'Ouest. Photo tirée du livre "America" de Denis Vaugeois, page 236, Éditions Septentrion, Québec, 2002.
Plus au sud, la ville de Chicago, fondée par des Québécois, signifie "Champ d'ail sauvage". Nos ancêtres prononçaient "Chica-gou". La rivière qui pénètre la ville à l'ombre des gratte-ciel s'appelle toujours Des Prairies River.
L'ORÉGON FRANCOPHONE
En plantant les premiers pommiers qui feront la richesse de l'État de l'Orégon, Joseph Gervais, se trouve un des derniers voyageurs québécois d'origine, né à Maskinongé au Québec en 1777. Le voici qu'il trappe dans le bas Missouri en 1793, et chasse le bison en Arkansas pour ravitailler le marché de la Nouvelle-Orléans. Gervais participe aux expéditions vers l'Ouest, explore la rivière Willamette en 1811. Trois ans plus tard, le voilà à Fort William au lac Supérieur, engagé par la Compagnie de la Baie d'hudson, envoyant ses lots de fourrure à Vancouver. 
PHOTO: En 1871, Prudent Beaudry est maire de Los Angeles, tandis que son frère Jean-Louis est maire de Montréal.
"French Prairie" en Oregonpar Melinda Marie Jetté "French Prairie, située dans la vallée de la Willamette dans l’État d’Oregon, tire son nom des familles biculturelles canadiennes-françaises et indiennes qui ont colonisé la région au cours des années 1820 et 1830.
Ces colons franco-indiens ont été d’importants acteurs historiques dans la colonisation euro-américaine de la région qui a débuté dès les années 1810 avec le commerce des fourrures par voie terrestre.
À l’origine, French Prairie était le domaine des Ahantchuyuk Kalapuyan, peuple autochtone dont la population a abruptement chuté au cours des années 1830 et 1840, à cause de la maladie et de l’émigration euro-américaine. Plus tard, la vallée de la Willamette est devenue une des principales destinations des colons américains empruntant la piste de l’Oregon pendant les années 1840. Après l’assimilation éventuelle des familles franco-indiennes et l’ascension politique des Anglo-Américains, le rôle historique des francophones a souvent été négligé dans les textes traditionnels de l’histoire de l’Oregon. Malgré tout, l’histoire et le patrimoine des colons francophones ont survécu dans la mémoire de leurs descendants. Aujourd’hui, les touristes du XXIe siècle qui visitent le Champoeg State Heritage Area ont l’occasion de découvrir les colons franco-indiens de French Prairie."
Pour sa part, en 1830, Joseph Gervais se fixe à Willamette en Orégon, créant un établissement francophone en ouvrant la première école dans sa maison où le français, l'anglais et le chinook (dialecte indien-français) sont enseignés. Son nom se transforme en Jarvay. Ses affaires progressent jusqu'à sa mort en 1861. Marié trois fois, il aura 34 petit-fils et la population française de la vallée atteindra le chiffre de 1200 personnes.
LE COUREUR DES BOIS
Mais le coureur des bois est d'une nature différente. Familier des forêts, c'est un chasseur à la pige. Ayant le goût de l'aventure, du risque et du profit, il apprend à se tirer d'affaires avec peu de ressources au contact des Indiens. Son objectif est de ramener la plus importante cargaison de fourrure, surtout le castor, vers Montréal. Chassant peu, il fait du troc avec les "sauvages", souvent à titre personnel, sans le moindre permis de traite. Homme d'affaires astucieux, il arrive que sa cargaison soit saisie par les autorités, et même volée par des Iroquois embusqués.
PHOTO: L'abbé Pierre Gibault, curé de Vincennes en Indiana, a rallié à la cause de l'Indépendance les colons d'origine québécoise et permit ainsi d'agrandir les États-Unis au sud des Grands-Lacs, d'un immense territoire qui faisait jusqu'alors partie du Canada britannique.
Terminons ce bref survol, en omettant volontairement les grand découvreurs retenus par l'Histoire, tels que La Salle, De La Vérendry, Marquette, Joliette, et bien d'autres. Signalons que 31 États américains sur les 50 que compose la République, ont été découverts, explorés ou colonisés par des Français et surtout par nos acêtres québécois appelés "Canadiens français " et "Frenchmen" à l'époque.
 PHOTO: À Philadelphie en Pennsylvanie, Étienne (Stephen) Girard, français d'origine, est de son temps l'homme le plus riche des États-Unis au XIXe siècle. Ici, le siège social de la " Stephen Girard Bank" à Philadelphie.
Malheureusement, ce banquier ne semble s'être jamais intéressé au Québec. Ses millions auraient été certes les bienvenus dans l'évolution économique du seul État-nation francophone d'Amérique qu'est le Québec.
Le nationalisme économique à l'égard de ses "cousins" québécois ne s'est jamais manifesté. L'Amérique d'abord.
Stephen Girard, (20 mai 1750 - 26 décembre 1831), né Étienne Girard, était un armateur, un banquier et un philanthrope américain d'origine française. Biographie 
Étienne Girard nait à Bordeaux en 1750 dans une famille de négociants. À 13 ans, il s'engage comme marin et à 23 ans il devient capitaine de navire dans la flotte de son père. En 1774, Girard fait du commerce entre les Antilles et New York mais en 1776 la marine britannique organisant le blocus des treize colonies rebelles, oblige Girard à se réfugier à Philadelphie où il décide de s'installer. En 1777 Girard épouse Mary Lum, mais en 1785 Mary commence à souffrir de troubles mentaux et en 1791 Girard, sur les conseils du docteur Benjamin Rush, se résout de la faire interner à l'hôpital de Philadelphie.
Le 27 octobre 1778, Girard prend la nationalité américaine sous le nom de Stephen Girard. Travailleur infatigable et doué pour le négoce, Girard s'enrichit beaucoup grâce au commerce avec les Antilles mais aussi avec la Chine. En 1811, alors que la charte de la Première Banque des États-Unis d'Amérique arrive à expiration, Girard rachète la majorité des actions ainsi que les bâtiments et fonde sa propre banque, la Stephen Girard Bank. La banque Girard bat monnaie et devient le principal bailleur de fond du gouvernement américain lors de la guerre de 1812. En 1816 il devient un des directeurs de la Seconde Banque des États-Unis d'Amérique.
À la fin de sa vie, Girard est considéré comme l'un des américains les plus riches. Il décide de léguer sa fortune aux œuvres caritatives de Philadelphie et de la Nouvelle-Orléans et fonde à Philadelphie le Collège Girard, un internat destiné à accueillir et à scolariser les orphelins de la ville.
PHOTO: À Faribault, au Minnesota, ville de 20 000 habitants fondée en 1826 par Alexandre Faribault, l'épicerie de J.-Aimé Plante était prospère au XXe siècle. En 1860, la famille LaCroix exploite la première usine de farine de ce bourg francophone. Peu avant, en 1851, les lieux furent le théâtre du traité de "Traverse-de-Sioux".
HISTORIQUE DE L'ORÉGON
Au cours des années 1810 et 1820, les trappeurs indépendants et les engagés de la Pacific Fur Company, de la North West Company et, plus tard, de la Compagnie de la Baie d’Hudson, campent de façon saisonnière à French Prairie et dans la vallée de la Willamette.
PHOTO: Le centre-ville de Faribault, Minnesota. Pendant cette période, ils établissent des liens sociaux et économiques avec divers groupes de Kalapuyan. Lorsqu’un certain nombre de couples biculturels franco-indiens manifestent le désir d’établir une colonie permanente dans la région de French Prairie vers la fin des années 1820, ils obtiennent le soutien des Ahantchuyuk Kalapuyan locaux.
En 1831, alors qu’une épidémie de malaria se déclare, les relations sociales de French Prairie subissent un profond changement, décimant des groupes de Kalapuyan dans toute la vallée. 
PHOTO: La maison François Thétrault, construite en 1872 à Faribault, Minnesota.
Leur capacité de résistance à la colonisation croissante de leur territoire s’en trouvera désormais considérablement limitée. Les familles franco-indiennes locales sont bien moins touchées par la maladie. Donc, au cours des années 1830 et 1840, la population franco-indienne locale augmente de façon régulière tandis que la population Kalapuyan diminue de façon spectaculaire. Malgré ce brusque renversement démographique, les colons maintiennent leurs liens avec la bande locale des Ahantchuyuk Kalapuyan à Champoeg et lui viennent en aide en période de détresse. 
Cette pratique se poursuit au cours des années 1840, comme en témoigne le nombre d’autochtones soignés dans des foyers franco-indiens. De plus, les colons sont en faveur de l’inhumation de Kalapuyan dans le cimetière catholique local, établi pendant les années 1830 dans la paroisse catholique canadienne-française de Saint-Paul.
L'arrivée de missionnaires catholiques canadiens-français
L’une des caractéristiques dominantes de cette communauté franco-indienne naissante est l’intérêt marqué que portent ses membres au bien-être collectif. C’est pour cette raison que, vers le milieu des années 1830, les Canadiens français, en accord avec leurs épouses indiennes, adressent une pétition à l’évêque Joseph Provencher de la Rivière-Rouge au Manitoba pour qu’il leur envoie des missionnaires catholiques canadiens-français. Ils souhaitent en effet offrir à leurs enfants un encadrement scolaire et religieux et obtenir la création d’une paroisse locale, une institution communautaire importante qu’ils ont connue au Bas-Canada.
À l’automne 1838, l’arrivée de missionnaires catholiques canadiens-français s’avère bénéfique pour la communauté franco-indienne, tout en posant un défi à l’esprit oecuménique qui règne dans la vallée de la Willamette. D’une part, la construction d’une mission catholique apporte à la communauté un chef de file instruit capable de plaider au nom des colons, tout en lui fournissant un lieu de rassemblement pour des activités éducatives et religieuses. Mais, d’autre part, le père Francis Norbert Blanchet tente de perturber les relations établies de longue date entre les colons franco-indiens et les missionnaires méthodistes américains. Bien que les colons donnent leur appui à la mission catholique en ce qui a trait aux programmes religieux et éducatifs, ils veulent aussi maintenir le dialogue avec les Méthodistes et les quelques colons américains. De ce point de vue, les familles franco-indiennes conservent une conscience très claire de leurs propres intérêts et défendent activement ceux-ci dans leurs relations avec les missionnaires canadiens-français, les Méthodistes et les Américains nouvellement établis.
Source: Encyclopédie dju patrimoine culturel de l'Amérique française www.ameriquefrancaise.org
Note biographique Melinda Marie Jetté NOTE SUR LES ORIGINES CANADIENNE-FRANÇAISE DE MELINDA MARIE JETTÉ
Melinda Marie Jetté, née à Portland, en Oregon, est une descendante directe des familles franco-indiennes qui ont colonisé French Prairie. Elle est titulaire d’une maîtrise en histoire de l’Université Laval et d’un doctorat de l’Université de la Colombie-Britannique. Au cours des années 1820 et 1830, deux de ses ancêtres paternels canadiens-français quittent Rigaud et Saint-Jacques, au Québec, comme engagés de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Ils s’installent à French Prairie avec leurs épouses autochtones dans les années 1840. Son arrière-arrière-grand-père, Adolphe (Théophile) Jetté, quitte Repentigny, au Québec, vers la fin des années 1840 et arrive à French Prairie au début des années 1850. Les ancêtres de Melinda Jetté restent à French Prairie jusque dans les années 1910 lorsqu’ils vont s’installer à Portland. Enfant, Melinda visite souvent Champoeg lors de sorties en compagnie de sa famille. Puisque les membres de la famille Jetté ont cessé de parler français au début des années 1900, Melinda profite de séjours en France et au Québec pour apprendre le français. Elle se consacre aujourd’hui à l’étude du rôle des populations de langue française dans l’histoire américaine.
Melinda Marie Jetté
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