le choc des civilisations" par Frederic Manns
JOURNAL QUÉBEC-PRESSE JÉRUSALEM — Le jeudi 12 février 2015 — REVUE DE PRESSE Par Frédéric Manns — Frederic Manns (photo) Il faut vraiment être borné, dépourvu de sens politique, voire de bon sens, pour s’émerveiller du « choc des civilisations » que l’Europe est en train de vivre. La thèse de S. Huntington, professeur d’Harvard est que, dans le futur, les guerres n’opposeront plus des États, mais des civilisations.
Pour les européens, cette nouveauté n’en est pas une : ils savent que le monde est fait de civilisations qui se croisent, s’affrontent, quelques rares fois s’enrichissent. Les razzias arabes qui affolèrent les côtes de Provence dès la fin du VIIe siècle, les bandes mauresques venues de l’Arabie pour envahir l’Espagne étaient moins l’expression d’un État que l’explosion d’une civilisation qui ne se connut plus de bornes ; le drame récent des Balkans a démontré une fois de plus les difficultés de dialogue entre musulmans et chrétiens: autant de « chocs de civilisations » qui font notre histoire. L’histoire nous apprend que les hommes n’apprennent rien de l’histoire. Mais ce n’est pas parce qu’on oublie l’histoire que l’histoire n’existe plus : c’est la grande ignorance des modernes, qui comprennent mal ce qui arrive. Quand l’histoire frappe à leur porte ils réagissent comme des enfants. On l’a vu après les attentats islamistes et la marche à grand spectacle censée solidariser la France dans un élan d’émotion, suivie de représailles contre la France et les chrétiens à travers le monde musulman. Rares furent les voix qui rappelèrent qu’il n’y a là qu’un épisode de la longue opposition entre l’islam et la chrétienté, et que la réponse n’était certes pas dans les incantations sur le dialogue des cultures, encore moins dans une ambiguë mobilisation pour protéger un journal dont chaque numéro caricature le sacré d’un milliard et demi d’hommes, mais dans le fonctionnement normal de l’État: sa diplomatie pour commencer, ses services de police et de renseignement, les instruments de sa justice. C’est bien là que le bât blesse : il fut ahurissant de voir un Président de la République, dont le ministre des Affaires étrangères appelait voici un an à armer les islamistes de Syrie, dont le garde des Sceaux appliquait une politique conduisant à libérer avant terme des individus condamnés et bientôt retrouvés avec des kalachnikovs à la main, dont le ministre de l’Intérieur avouait disposer d’un fichier de deux mille terroristes potentiels mais non surveillés, s’exonérer de sa responsabilité, savoir faire fonctionner les services publics, en paradant en tête d’une marche d’indignation. François Hollande a aidé les Etats-Unis à créer “l’opposition syrienne”. Il est coupable d’avoir donné naissance à l’Etat islamique, s’indigne un éditorialiste russe.Personne, parmi les indignés du Je suis Charlie, pour rappeler que la confrontation des civilisations est normale et que l’État doit agir contre son habituelle menace. Personne pour rappeler que l’insulte des autres aboutit un jour ou l’autre une réaction imprévue. Bien plus, le spectacle triste des chefs d’Etat européens en Arabie Saoudite à Ryad pour présenter leurs condoléances dans un Etat qui finance le terrorisme et où les femmes ne peuvent toujours pas conduire. Amnesty International a dénoncé un régime "insensible aux droits de l'Homme" et accusé l'Occident de couvrir cette politique en raison du poids pétrolier du royaume et de son soutien à la lutte antijihadistes. Au fond, tout tient à l’incompréhension des politiques pour l’altérité des civilisations alors qu’il est dans les lois de la nature, qu’elles aient chacune leur part d’inconnu. Le modèle de la Révolution française est loin d’être universel et applicable en Orient. Retour aux livres d’histoire. Il est certain que le monde chrétien et le monde musulman sont confrontés au phénomène de la mondialisation, bonne en soit mais qui donne lieu à un phénomène de globalisation tendant à niveler les différences culturelles et religieuses et à un phénomène de fragmentation qui conduit aux crispations identitaires. Chrétiens et Musulmans doivent relever ensemble un triple défi : - le défi de l’identité : savoir et accepter ce qu’ils sont; - le défi de l’altérité : les différences sont sources d’enrichissement. Il existe un droit à la différence. - le défi de la sincérité : les croyants ne peuvent pas renoncer à proposer leur foi, mais ils doivent le faire dans les limites du respect et de la dignité de chaque être humain. L’histoire enseigne qu’il n’y a qu’un seul avenir possible : l’avenir partagé.
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